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18 janvier 2009

Interview de Stéphane Bourguignon

Il y a quelques années, je m'étais amusée à faire une interview maladroite et amateur de Stéphane Bourguignon destinée à mon forum de littérature sur MSN.
MSN ferme, je suis donc en plein déménagement de forum (il a 6 ans, je ne sais pas si vous vous imaginez le boulot... grrr)
Quoiqu'il en soit, je suis retombée sur cette interview et voulais la faire partager...

STEPHANE BOURGUIGNON

 

 

On vous connaît mal en France, mais il faut signaler que vous avez commencé en tant que rédacteur pour l'émission "Surprise sur prise" (ça nous parle ça, de l'autre côté de l'Atlantique) et comme scénariste de "La vie, la vie" (série télévisée québécoise, jamais diffusée en France). Qu'est ce qui vous a fait franchir le pas du scénario à l'écriture d'un premier roman ?

En fait, j’ai publié deux romans avant de me lancer dans l’éreintante aventure de "La vie, la vie". Qui d’ailleurs, en passant, a été diffusée à plusieurs reprises en Belgique et en Suisse. Elle a aussi été vendue à France 2 qui ne l’a toujours pas diffusée pour des questions de doublages (eh oui, l’accent du Québec !), je crois. Donc, des études en scénarisation cinématographique, plus ou moins dix ans dans le milieu de l’humour à titre d’auteur et d’idéateur tout en écrivant mon premier livre, "L’Avaleur de sable". Puis mon second livre, puis "La vie, la vie", puis mon dernier roman, "Un Peu de fatigue". Aujourd’hui encore, je navigue entre le roman et le scénario, alors que je prépare une nouvelle série télé et un long métrage… tout en travaillant (un peu) sur un roman. Les deux formes me nourrissent et je crois que d’une certaine manière, chaque passage dans l’une enrichie l’autre. Du moins je l’espère.

L'accent du Québec... Justement notre forum se concentre actuellement sur la francophonie. Quelle a été votre sentiment quand la question de doublage pour La vie, la vie a surgi ? Qu'évoque d'ailleurs pour vous ce concept de francophonie ?

Pour nous, au Québec, la fragilité de l’oreille française nous semble absurde et un peu capricieuse. Probablement parce que nous sommes habitués depuis longtemps aux doublages des films américains par des acteurs français. Mais je sais que les téléspectateurs sont frileux. Par contre, lors d’un festival de télé en Suisse nous avons présenté "La Vie la vie" dans sa langue originale et les spectateurs (français, belges, suisses) comprenaient à 90 % et semblaient plutôt ravis de faire une incursion dans la « vraie » langue des québécois. Toute oeuvre doublée perd énormément de son attrait, de son pouvoir et surtout de sa justesse. Le son ambiant doit être refait en entier, en studio, et une belle production sonore finit par sonner faussement. La francophonie pour moi est un concept vague ; une langue qui lie des peuples avec des racines et des cultures complètement différentes. J’oserais même dire que parfois, le fait français peut générer une méprise. Il arrive souvent quand nous sommes exposés à la culture française, que nous vivions une sorte de déception ou d’incompréhension parce que nous pensions inconsciemment que le fait que nous parlons la même langue nous rapprocherait nécessairement. Et il n’en est rien. Donc, déception. C’est une particularité, que de parler français, non pas une étiquette ou une garantie ou un indice de quoi que ce soit. Je crois que nous, québécois, avons autant sinon plus d’affinités avec les américains qu’avec les français. Par contre, j’ai croisé quelques suisses et quelques belges avec qui je pouvais établir des correspondances culturelles.

Passons maintenant à vos livres. Tous trois sont assez humoristiques, de l'humour grinçant bien souvent, et il se dégage de votre écriture un certain dynamisme. On a l'impression d'une certaine spontanéité... Est-ce lié à vos habitudes d'écriture ? Quel genre d'écrivain êtes-vous ? Plutôt acharné qui enchaine les pages en quelques mois ? Ou avancez-vous plutôt à petits pas, au gré de votre inspiration ou de votre envie d'écrire ? Ou ?

La spontanéité demande beaucoup de travail ! Ironiquement, pour essayer justement de recréer « la spontanéité » il faut repasser et repasser, récrire et récrire. Chaque livre impose son rythme. Les aléas de la vie courante aussi. Le fils qui entre de l'école à 15:30 plutôt qu'à 17:00 modifie cette journée de travail. La conjointe en vacances à la maison donne envie à l'écrivain d'être en vacances aussi... Chaque décision prise dans un roman (et il y en a des millions) est influencée par le contexte dans lequel se trouve l'auteur. La sinusite qui persiste depuis une semaine lui fera peut être tourner les coins rond. C'est pour ça que beaucoup d'entre nous cherchons à nous isoler ; afin de réduire le plus possible les influences extérieures. Plus les influences extérieures sont nombreuses, plus le livre "final" s'éloigne du livre que nous avions en tête avant de commencer. Pour le meilleur et pour le pire. Moi je suis du genre à avancer lentement et à peaufiner à mort. J’ai aussi souvent besoin d’une bonne pause en cours d’écriture, parfois plusieurs mois, afin de réfléchir à la dernière partie de mon livre. En fait, le travail de l’écrivain dépasse grandement le temps passé devant l’ordinateur à écrire des phrases. Il y a tout un temps, incalculable, passé à réfléchir, ressentir (trouver l’âme du livre), classer les infos, remuer les thèmes, explorer des sentiers, faire de la recherche aussi parfois. Et il y a tout un travail inconscient qu’on ne contrôle pas mais qui a aussi son rythme à lui. Ce travail est sacré, il ne doit pas être bousculé.

Vos trois romans ont pour personnages principaux trois hommes, tout d'abord dans "L'avaleur de sable", et dans "Le principe du Geyser", on retrouve Julien entre ses 26 ans et ses 30 ans, puis dans "Un peu de fatigue", Edouard a 41 ans? A quelques années près, les personnages semblent prendre vie au même âge que vous au moment où vous écivez les romans. Sans parler de romans autobiographiques non plus, est-il important pour vous de garder avec vos personnages une certaine proximité ?

Julien était sécurisant, c’était un autre moi. Je le comprenais à fond. Je ne me serais pas vu à 25 ans écrire pour un personnage de 75 ans. Surtout que mes romans sont écrits au « je », ce qui rend l’écriture encore plus intime. Au « je », nous sommes à l’intérieur du personnage. Pour arriver à une certaine justesse psychologique, je devais prendre des hommes de mon âge ou même un peu plus jeune que moi ("Le Principe du geyser"), afin de les comprendre à fond. Dans le cas de "Un Peu de fatigue", j’avais commencé à prendre mes distances. Au début de l’écriture, je n’avais que 34 ans (Édouard en a 41). À remarquer aussi qu’il y a plusieurs narrateurs dans ce livre, dont deux femmes. C’était ma première incursion dans l’univers féminin et j’y ai pris goût. J’aime croire qu’il s’agit d’un signe de maturité. Le roman sur lequel je travaille présentement met en scène une jeune femme dans la vingtaine. Chaque livre apporte son lot de difficultés. Plus je prends de l’expérience, plus je peux m’aventurer sur des terrains psychologiquement exigeants parce que je n’ai plus à me poser certaines questions primaires.

D’ailleurs, on peut sentir une autre évolution entre "L'Avaleur de Sable" et "Le principe du geyser", d’une part et d’autre part, "Un peu de fatigue". On a l’impression que vous vous éloignez de plus en plus du genre de la comédie, comme si vous aviez peut être moins envie de « clowniser » vos personnages et plus de leur donner une certaine profondeur. Vous cachiez-vous derrière l’humour ? (Un roman plus sérieux serait plus facilement critiquable?) Pensez-vous que c’est une tendance qui va durer et qu’avec l’expérience et la maturité de l’écriture vos romans seront de moins en moins teintés d’humour ?

Il faut savoir qu’au moment où j’écrivais" l’Avaleur de sable", parallèlement, je gagnais ma vie en tant que scripteur humoristique. J’écrivais des gags et des textes comiques pour différents humoristes, différentes émissions de radio et de télévision. L’humour était une réelle préoccupation. A la sortie de mon premier roman, j'ai abandonné cette pratique pour me consacrer à la fiction. Mais au moment de l'écriture du "Principe du geyser", j'ai dû quand même honorer une certaine continuité stylistique avec "L'avaleur de sable" puisqu'il s'agissait d'une suite. C’est aussi pour cette raison que j’ai l’impression parfois qu’Un peu de fatigue est mon véritable second roman. Et l’on sent effectivement un basculement du comique vers le dramatique, même si certaines situations restent drôles. Ou drolatiques, devrais-je dire. Le roman sur lequel je travaille présentement n’est pas drôle du tout. Ma vision de l'écriture romanesque a aussi changé avec le temps, l'âge et les préoccupations. Avec la quarantaine, je sens une nouvelle ouverture sur le monde. Pour l'instant, cela se traduit par une écriture de plus en plus dramatique, mais il n'est pas dit qu'après quelques années d'indignation, je ne revienne, avec une certaine distance, avec une forme littéraire tout aussi "critique" mais avec plus de détachement, ce qui permettrait la cohabitation de l'humour et du "contenu". C'est vrai que j'ai un peu l'impression de me diriger, avec mon prochain livre, vers une des deux extrémités du balancier. Mais qui peut prédire quoi que ce soit dans le domaine de la création ?

Quels sont vos rapports avec vos lecteurs ?

Je n’ai plus vraiment de rapport avec mes lecteurs. Sinon qu’à la sortie de mes livres, je participe au salon du livre de Montréal et je signe des dédicaces jusqu’à plus soif. Il faut savoir que la série télé "La Vie la vie" a connu un bon succès, ce qui m’a amené un nouveau lot de lecteurs. Malheureusement, ces rencontres sont très brèves et même si elles sont généralement agréables, elles restent truffées de lieux communs et de formules de politesse. La pratique littéraire est éminemment solitaire. Peut-être le forme d'art la plus solitaire parce qu'il n'y a pas cette espèce de cérémonie collective, ce spectacle, cette représentation publique de l'oeuvre où tout le monde est rassemblé. J'en suis même venu à penser que la tournée médiatique d'un auteur avait un peu fonction de simulacre de ce rituel. Ce qui est un peu tordu puisque ce n'est pas le livre qui en est la représentation, mais bien l'auteur. Je crois toutefois qu'elle peut contribuer à maintenir l'écrivain en santé mentale. Il joue et rejoue la genèse de son livre jusqu'à écoeurement, lui permettant par la suite de passer à autre chose.

Quels sont les auteurs que vous admirez ? Et dans le cadre de la littérature canadienne francophone à l'honneur sur notre forum, quels auteurs (livres) canadiens francophones nous conseilleriez-vous?

Je respecte beaucoup d'auteurs même si je n'aime qu'un seul de leurs livres. Mes rencontres sont surtout avec des bouquins. Mais pour en nommer quelques-uns en vrac : Don Delillo, Simenon, Torgny Lindgren, Raymond Carver, Kundera, Chaim Potok, Ian McAwan, Yoko Ogawa, Zoé Valdés et bien d'autres. Pour ce qui est des collègues québécois, je dois dire que je ne les connais pas bien, étant beaucoup plus intéressé par la littérature qui me dépayse que celle qui me ressemble. Mais il y a bien sûr les incontournables : Anne Hébert, Hubert Aquin, Marie-Claire Blais. Et les amis : Pierre Yergeau, Stanley Pean et Élise Turcotte.

Entrevue réalisée en exclusivité par Cryssilda pour Lire, lire et lire encore !! (28/09/05)

 


 

 

BIBLIOGRAPHIE

  • L'Avaleur de sable, 1993 Québec Amérique - Robert Laffont

  • Le principe du geyser, 1996 - Québec Amérique - Julliard

  • Un peu de fatigue, 2002 - Québec Amérique

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Commentaires
I
Il te parle après trois Strongbow?! Il n'est pas rancunier le Wilkie ;-))))
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C
@ Isil : J'ai essayé avec les guéridons et les bougies, après trois bières, des fois Wilkie me parle! :)<br /> <br /> @ Lilly : Des forums sur msn, dont un qui s'appelle 'Victorian & British'. Tous les groupes msn ferment... <br /> <br /> @ Mélodie : Merci! Je vais essayer ce week end!
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M
Trop mignon. Je ne sais pas si on peut l'écouter de la France, mais sur le site Web de Radio-Canada : http://www.radio-canada.ca/emissions/tout_sur_moi/saison3/ Tu peux écouter la série Tout sur moi, écrite par Stéphane Bourguignon. Et dans le dernier épisode, il joue dedans :-)
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L
Vous parlez de quels forums ?
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I
Ah mais tu n'as jamais fait d'interview pour l'autre forum ;-))))<br /> Beau travail cela dit. Très intéressant ce qu'il dit du doublage des québécois.
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