"Eureka Street" de Robert McLIAM WILSON

Eureka Street de Robert McLiam Wilson

Editions Minerva, 396 pages

(Edité en français sous le même titre chez 10/18)

Année de publication : 1996

L'intrigue se déroule à Belfast et raconte le quotidien d'une bande de potes, et plus particulièrement de Jake et Chuckie, deux anti-héros. Jake vit avec son chat qu'il passe son temps à maltraiter, sans être tout à fait méchant. Son grand amour l'a quitté, et il ne s'en remet pas vraiment. C'est un ancien délinquant repenti grâce à sa famille d'accueil, mais il reste toujours à la limite de la légalité, il a de fortes pulsions en ce qui concerne les bagarres... Chuckie est un loser... il vie avec sa mère à laquelle il n'adresse pas la parole, il se cherche désespérément une copine, il est "un peu" gras et benêt. Tout va changer pour lui alors qu'il se lance dans un improbable commerce de vibromasseurs, d'un coup d'un seul, grâce à son imposture, il va devenir millionnaire. Sa vie est une grande blague, et pourtant ça marche! Et puis forcément ça se passe à Belfast dans les années 90, alors nous allons rencontrer des protestants, des catholiques, des nationalistes, des royalistes, des attentats, des émeutes, des républicains... et tout ceci va quelque peu troubler la vie de cette bande de potes qui finalement ne demande rien à personne, et dont la vie sociale toute autour du Wigwan, leur pub fétiche.

J'avais rencontré Robert McLiam Wilson aves les Dépossédés. Ce livre est pour moi la version papier de ce que j'aime dans les films de Ken Loach, ce roman n'est d'ailleurs pas étranger à l'idée de départ du Ken Loach Swap. Robert Mcliam Wilson est le genre d'auteurs que j'adore. profondément humaniste, ses livres (du moins les deux que j'ai lus) sont empreints de sincère intérêt pour les hommes en tant qu'individus.

On est dans les années 1990, les attentats en Ulster font rage. Le livre est publié en 1996, et déjà on sent que des négociations sont en cours (en 1999 l'accord de Stormont sera signé, mais comme on le sait, la paix mettra du temps à - plus ou moins - s'installer) en ce qui concerne les problèmes en Ulster. Néanmoins, à l'époque du roman, tout cela n'est encore qu'un rêve. L'amitié entre protestants et catholiques semble être une utopie, mais ce groupe d'amis ne semble pas vraiment s'occuper de tout ça, Jake est d'ailleurs catholique dans un groupe de protestants...  Quelque soit leur religion, ils ont tous les même préoccupations : l'amour, le travail, la bière, l'argent, la paix... Ce que je pense, c'est que Robert McLiam Wilson a essayé de montrer que ce conflit irlandais ne concernait pas tous les irlandais.  La plupart de la population subissait la violence sans y prendre part, sans même parfois comprendre pourquoi on faisait exploser des irlandais pour obtenir plus de droits pour les mêmes irlandais...

Par conséquent, ce n'est pas un roman historique ou politique que nous présente ici l'auteur, sinon le quotidien des gens de Belfast pendant les affrontements. avec beaucoup d'humour, nous suivons les histoires quotidiennes de ces amis un peu désenchantés. Une bonne soirée, c'est au pub avec une bière à raconter des histoires grivoises ou a refaire le monde (sans trop d'arguments tenant la route, surtout après quelques bières). Et puis parfois au loin on entend une explosion et des sirènes... ou bien on rencontrer une nationaliste qui croit voir toutes les preuves de la persécutions chez Jake parce qu'il s'est fait tabassé par un flic (simplement parce qu'il courrait après sa copine)... Bref, on sent l'ambiance instable de Belfast, mais Robert McLiam Wilson lui veut montrer que les gens continuaient à vivre, et que tous n'étaient pas de guérilleros.

Les passages de ce romans qui m'ont le plus marquée, sont d'abord le chapitre où McLiam Wilson écrit une véritable ôde à Belfast (le plus beau texte écrit sur Belfast, j'en suis sûre) pour nous plonger ensuite dans le coeur d'un attentat au coeur de la ville, avec toute la description de la boucherie qu'il ne veut surtout pas nous épagner, non pas voyeurisme, mais pour montrer l'injustice, la stupidité et la bêtise de la chose. J'ai également beaucoup aimé les quelques pages qui ont suivi, alors qu'on nous raconte les histoires avortées des victimes, et la façon dont la population apprend la nouvelle de l'attentat.

Ce roman est fort en humour. Les personnages sont désabusés et peuvent avoir des réflexions très inattendues... j'ai particulièrement aimé le personnage de Jake et ses petites remarques qu'il se fait dans sa tête, très cinglant, très noir, très cynique, j'adore! Et puis sa relation avec son chat... le pauvre, il subit les humeurs de son propriétaire, et même quand ce n'est pas le cas, il s'efforce de montrer une petite bouille martyrisée à qui veut bien le plaindre dans la rue. Vraiment très amusant en tous cas.

Et puis, on sent l'amour de Robert McLiam Wilson pour sa ville. Ils nous la présente dans toute sa splendeur, au milieu des montagnes, sous la lumière parfois grise (!), ou bien éclairée par la pleine lune. Il nous parle des gens en train de dormir, il s'attarde sur chacun des habitants (enfin presque, du moins il nous donne cette impression)... une ville qui a tout pour être comme les autres.

J'ai commencé ce livre à Belfast, alors forcément, encore une fois, cette lecture a été bien spéciale pour moi car je pouvais visualiser tous les lieux, ou presque, évoqués dans ce livre... dont Sandy Row où au départ je n'aurais jamais dû aller, mais j'ai décidé un jour à tourner dans une rue, puis dans une autre, au hasard, pour justement tomber dans Sandy Row.

Je recommande très fortement ce roman ! Sûr que je lirai tous les autres livres de Robert McLiam Wilson (sutout qu'on fait déjà la connaissance de Ripley Boggle dans ce livre!), je le proclame aujourd'hui au rang de mes chouchous !

Les avis de Lilly,de Betty et de Hydromielle.

Et puis tiens, je fais d'une pierre deux coups : Challenge Lire autour du monde et Objectif Pal :)

(P-1)

Cryssilda

Comments

[Cryssilda]

@ Maeve : Ben je ne connais pas du tout Roddy Doyle, alors faut que j'en lise au moins un pour savoir! ;)

[Maeve]

Paddy Clarke par contre ne m'avait pas emballée plus que ça. Mais bon, comme toujours, c'est une affaire de goût personnel :)
J'espère chroniquer ça très bientôt mais je suis overbookée en ce moment. Sûrement pendant un week-end la chronique !

[Cryssilda]

@ Maeve : J'avais déjà noté ce roman de Roddy Doyle quelque part! Mais avant je dois lire 'Paddy Clarke' de lui, que j'ai dans ma PAL (terrible PAL). Je vais guetter ton billet!

[Maeve]

Je te conseille "La Femme qui se cognait dans les portes" du même Roddy Doyle. J'ai terminé ce roman il y a quelques semaines et j'ai été subjugué ! Très différent mais quel talent !

Je n'ai pas encore eu le temps de le chroniquer, notamment en raison d'une panne web un peu longue mais aussi parce que je suis overbookée. Je m'y colle dès que je peux ;-)

[Cryssilda]

@ Lou : Surtout que je peux te le passer quand tu veux ;)